Avez-vous déjà entendu parler de l’hypocras ? Dans le passé, les vins médicinaux étaient utilisés pour renforcer l’organisme et favoriser la guérison. Petit voyage dans l’histoire et trois recettes à préparer soi-même.
Texte / photos : Katja von Lipinski
Le vin chaud est aujourd’hui très apprécié. Mais saviez-vous que cette boisson parfumée est un héritage d’un temps ancien ? Une tradition de nos ancêtres, qui faisaient infuser des épices et des herbes médicinales dans le vin pour traiter différents maux et renforcer le système immunitaire. De nos jours, on remplace souvent la cannelle précieuse, les clous de girofle aromatiques ou le poivre noir par des arômes industriels ajoutés au vin. Celles et ceux qui misent sur la force de la nature préfèrent donc préparer eux-mêmes leur vin hivernal.
L’histoire du vin combiné au miel ou aux épices remonte à loin. Des découvertes archéologiques sur le site iranien de Hajji Firuz Tepe laissent penser que le vin était déjà fabriqué au 6e millénaire av. J.-C. On ignore toutefois s’il était consommé par plaisir ou à des fins thérapeutiques. Grâce au déchiffrage de l’écriture cunéiforme, nous savons qu’environ 4000 ans plus tard, soit vers 2100 av. J.-C., le vin associé au miel était utilisé comme remède. Dans le livre de médecine sumérien de Mésopotamie, cette combinaison est recommandée pour traiter la toux.
500 ans plus tard, le papyrus Ebers, daté d’environ 1550 av. J.-C., mentionne plusieurs recettes dans lesquelles des épices et d’autres ingrédients sont cuits dans le vin à des fins médicinales. Pour traiter les troubles alimentaires et la perte d’appétit, la recette n° 288 recommande par exemple de faire bouillir des souchets, de la moelle osseuse, de l’encens et de l’ocre dans le vin, à consommer sur une à quatre journées.
Vers 77 apr. J.-C., le mélange de vin et de miel est à nouveau décrit. Sous le nom de mulsum, cette boisson est considérée comme apéritive, digestive et promotrice de longévité, servie avant ou avec les hors-d’œuvre. Pline l’Ancien, érudit romain et auteur de l’« Histoire naturelle », y ajoute du poivre fraîchement concassé et le recommande aussi pour fortifier les voyageurs. À sa question posée à Romilius Pollio, âgé de plus de 100 ans, sur les raisons de sa longévité, celui-ci aurait répondu : « À l’intérieur, du mulsum ; à l’extérieur, de l’huile. »
À partir du mulsum, divers vins épicés et médicinaux se sont développés. Environ 300 ans plus tard, le livre de cuisine « De re coquinaria » consigne la recette du « Conditum paradoxum », un vin épicé romain. Le miel est d’abord porté plusieurs fois à ébullition avec du vin, écumé le lendemain, puis parfumé with des épices comme le poivre moulu, le mastic (résine du pistachier lentisque), le safran, la lavande et des noyaux de dattes grillés, avant d’être dilué à nouveau avec du vin.
Avec les Romains, la vigne a gagné l’Europe centrale et, avec elle, l’usage thérapeutique du vin dans la médecine populaire.
Hildegarde de Bingen (1098–1179) attribuait déjà au jus de raisin fermenté des propriétés curatives. L’abbesse voyait dans le vin un moteur de la santé et y ajoutait des plantes spécifiques. Elle a laissé plusieurs recettes de vins médicinaux dans son œuvre « Physica ».
La médecine monastique médiévale utilisait principalement les vins médicinaux pour les troubles internes, pour renforcer l’organisme et pour traiter les souffrances psychiques, telles que les dépressions légères, la mélancolie, la tristesse, l’insomnie ou la douleur.
Au 14e siècle, une recette de vin épicé particulier, l’hypocras, proche de notre vin chaud actuel, apparaît. Selon Taillevent, chef cuisinier du roi de France Charles V, le vin et le miel sont aromatisés avec de la cannelle, des clous de girofle et des fleurs d’oranger. D’autres ingrédients sont la marjolaine, la noix de muscade, le poivre, la cardamome et le gingembre. En alternative aux fleurs d’oranger, on recommande de l’eau de rose.
Les vins médicinaux et épicés étaient destinés à être pris à petites doses, dans de petits verres à liqueur. Pour les personnes qui ne tolèrent pas l’alcool, il est possible d’utiliser du jus de raisin.

Les raisins sont riches en minéraux, fibres, vitamines B et composés végétaux secondaires. Ils ont un effet positif sur la digestion, le métabolisme et la formation du sang. Les raisins foncés contiennent particulièrement beaucoup de composés actifs comme les acides phénoliques et les flavonoïdes, qui ont des effets protecteurs pour les cellules et anti-inflammatoires.
Le poivre noir était considéré au Moyen Âge comme le roi des épices. Il est riche en pipérine, responsable de son goût piquant. La pipérine agit dès l’ingestion en stimulant les papilles gustatives, qui envoient un signal au pancréas, lequel libère aussitôt des enzymes digestives. Le poivre noir aide en cas de nombreux troubles digestifs tels que diarrhée ou constipation. Il régule l’activité de transformation, raccourcit la durée du transit intestinal et tonifie la paroi intestinale. Il a également un effet antibactérien et favorable dans de nombreuses autres affections.
La cannelle aide en cas de problèmes respiratoires et de troubles digestifs. Cuite dans un vin médicinal, elle confère un arôme parfumé et exerce un effet réchauffant et digestif. Elle a également la capacité de lutter contre certains germes pathogènes comme les champignons ou les bactéries.
Les clous de girofle – les boutons floraux non ouverts du giroflier – contiennent de l’eugénol, des substances anti-inflammatoires et des antioxydants. Dans le tube digestif, ils stimulent l’appétit et, dans le vin médicinal, soutiennent la digestion. Ils sont utiles contre les crampes, les ballonnements et les maux de dents.
Le safran agit comme antidépresseur, en cas d’épuisement, d’agitation et d’hypertension artérielle. Il a des effets positifs notamment sur les troubles de l’érection, l’insomnie et peut, de manière préventive, contribuer à préserver la vue.
L’anis étoilé a des propriétés expectorantes, anti-inflammatoires et digestives. Cette épice renferme des substances actives antivirales et antibactériennes. L’acide shikimique qu’elle contient est réputé aider en cas de grippe.
La noix de muscade : sa forte teneur en myristicine pourrait expliquer son effet positif en cas de dépression, d’agitation, de diarrhée, de troubles de la mémoire et de rides.
Le laurier est utilisé en phytothérapie pour les inflammations, les tensions, les contusions, la toux, les maux d’oreilles, les rhumatismes, les douleurs nerveuses et les problèmes digestifs. Cuit dans les plats, il renforce les cellules et agit favorablement sur le cholestérol et la glycémie. Les feuilles de laurier sont par ailleurs riches en antioxydants.
Les vins médicinaux peuvent être préparés à froid ou à chaud. Pour la macération à froid, on place les herbes et, si souhaité, le miel ou le sucre dans une bouteille, on couvre de vin et on laisse infuser environ une semaine, à l’abri de la lumière. Pour les préparations chauffées, on place les ingrédients dans une casserole, on les fait frémir environ une heure juste en dessous du point d’ébullition, puis on filtre à travers un tissu dans des bouteilles stériles. Les deux préparations se conservent environ deux semaines au réfrigérateur. Les ingrédients peuvent être combinés selon l’effet recherché.

Expectorant, libère la respiration, renforce le système immunitaire
Ingrédients :
Pour servir :
Préparation :
Mettre le vin et le miel dans une casserole, chauffer et mélanger jusqu’à dissolution du miel. Ajouter le reste des ingrédients, sauf l’orange, et laisser frémir environ 30 minutes. Couper l’orange en rondelles. Garnir les verres de deux petites branches de verdure de sapin et d’une à deux rondelles d’orange, puis filtrer le vin à travers une passoire et verser dans les verres.
Le breuvage de la forêt peut aussi être filtré à travers un tissu dans des bouteilles stériles et refermées. Il se conserve environ deux semaines.
Utilisation : À savourer comme vin chaud ou vin médicinal.

Stimulant, digestif, anti-inflammatoire, remontant
Ingrédients :
Préparation :
Dénoyauter les dattes, faire griller les noyaux. Verser le vin dans une casserole, ajouter le miel et chauffer en remuant jusqu’à ce qu’il soit dissous. Piler grossièrement le poivre, l’ajouter avec les dattes, les noyaux grillés et le reste des ingrédients dans le vin et laisser chauffer environ 30 minutes. Pour servir, garnir les verres d’une feuille de laurier et d’une datte piquée sur un bâtonnet.
Utilisation : À déguster comme vin médicinal ou vin épicé avant les repas.

Digestif, anti-inflammatoire, antiviral, antibactérien
Ingrédients :
Préparation :
Mettre le vin et le miel dans une casserole, chauffer et remuer pour dissoudre le miel. Ajouter les épices et laisser frémir environ une heure. Le vin ne doit pas bouillir, mais seulement frémir. Filtrer le breuvage à travers un entonnoir garni d’un tissu dans des bouteilles stériles. Conserver au frais et à l’abri de la lumière. Se garde environ deux semaines.
Utilisation : À prendre en petites quantités (verre à liqueur) avant le repas comme breuvage médicinal, ou à servir comme vin chaud.