Les enfants confrontés trop tôt à plusieurs langues subissent probablement une trop grande exigence, disent les uns. Les enfants sont capables d'apprendre deux voire trois langues étrangères, répondent les autres. Quels sont les arguments pour et contre l'apprentissage précoce des langues?
L'enseignement de la deuxième langue nationale s'appuie sur une longue tradition dans notre pays. Les premiers cantons à introduire « le français précoce » ou « l'allemand précoce » l'ont fait dans les années 70. À la fin des années 90, la deuxième langue dès la 4ème et la 5ème d'année d'école primaire est devenue la norme dans presque tous les cantons. La préférence accordée à l'anglais dans le degré primaire (selon les cantons, de la 1ère à la 4ème année ou à la 6ème) est en revanche toute récente et s'effectue selon les programmes cantonaux. Dans certains cantons, les premiers cycles de deux langues étrangères à l'école primaire sont déjà terminés, tandis que dans d'autres cantons, on vient tout juste de commencer.
La redéfinition du concept de langue à l'école obligatoire s'est imposée au cours des années 90, dans la foulée des nouvelles découvertes de la recherche dans l'apprentissage des langues et de la didactique des langues étrangères ; en outre, certains cantons voulaient accorder la préférence à l'anglais au degré primaire. Les cantons se sont vus contraints de trouver une solution coordonnée à l'échelle de la Suisse.
Auteur: Fabrice Müller, 06.15
À quel âge les élèves allemands apprennent-ils une langue étrangère? Cela dépend du land dans lequel ils vivent. En règle générale, ils commencent en 3ème année de primaire, à l'âge de 8 ans. L'Allemagne se situe ainsi dans la moyenne européenne. Certains länder comme la Hesse proposent dès la 1ère année la découverte facultative d'une autre langue. La Rhénanie du Nord-Westphalie fait office de pionnière en matière d'enseignement des langues étrangères. Les élèves y apprennent l'anglais dès la 1ère année de primaire. Dans toute l'Allemagne, l'apprentissage de la deuxième langue (généralement l'espagnol ou le français) se fait en 7ème année.
Après l'adoption de la stratégie de la CDIP (Conférence suisse des directeurs cantonaux de l'instruction publique) en 2004, des initiatives populaires avaient vu le jour dans certains cantons, sous le titre « Une seule langue étrangère à l'école primaire ».
L'argument principal prétendait alors que l'enseignement de deux langues étrangères était trop exigeant pour les élèves. Les initiatives ont été rejetées dans quatre cantons, tandis qu'à Lucerne, les initiants les avaient retirées. Dix ans plus tard, des initiatives similaires sont apparues dans les Grisons, d'autres ont été récemment rejetées par le canton de Nidwald. Dans le canton de Lucerne, une nouvelle initiative populaire a été formulée en 2014.
Quels sont les arguments des opposants à l'enseignement de deux langues au degré primaire ? Pour beaucoup d'enfants, deux langues étrangères obligatoires représentent une trop grande exigence, estime Jörg Luzi, du comité de l'initiative « Une seule langue étrangère à l'école primaire » des Grisons. L'objectif de l'initiative est de renforcer la compétence des enfants dans leur langue maternelle et dans la première langue étrangère. Il s'agit en outre de libérer le degré primaire de la charge en langues.
L'extension des cours de langues se fait au détriment d'autres matières importantes : d'après Jörg Luzi, le travail manuel a été divisé par deux en 5ème et 6ème année, les sciences de l'homme (cours spécialisés, matières comme l'histoire, la géographie, les sciences naturelles) risquent fort de servir à des cours de langues en immersion, au lieu de consolider la langue maternelle.
Une étude de la haute-école des sciences de l'éducation de la Suisse centrale s'est penchée sur l'effet de l'enseignement des langues étrangères au degré primaire. Les conclusions révèlent que les compétences dans la langue locale (l'allemand) et dans la deuxième langue apprise (l'anglais) avaient une influence positive sur la troisième langue (le français). L'anglais favoriserait l'apprentissage du français, indépendamment de l'allemand.
En comparant les élèves avec ou sans cours d'anglais en première langue, il a été observé que les élèves apprenant l'anglais avaient de meilleurs résultats en français que ceux qui n'avaient pas de cours d'anglais. « Avec le nouveau modèle 3/5, soit anglais en 3ème année et français en 5ème année, les élèves du degré primaire n'acquièrent plus « uniquement » une nouvelle langue étrangère, ils apprennent bien mieux le français qu'avec le modèle jusqu'alors en vigueur, car l'acquisition du français profite de l'anglais précoce », explique Andrea Haenni Hoti, directrice d'études.
Le multilinguisme est dans l'air du temps. De plus en plus de gens pratiquent deux langues au quotidien, de plus en plus d'enfants grandissent dans un milieu bilingue. Jusque dans les années 60, les linguistes prétendaient que les enfants multilingues étaient désavantagés. Depuis les années 70 en revanche, de nombreuses études en sciences du langage ont affirmé qu'une éducation multilingue ne nuisait nullement à l'enfant, et que ce serait plutôt le contraire.
Que signifie être un enfant multilingue ? Les langues que parle une personne représentent une part de son identité. Les personnes bilingues, par exemple, se sentent appartenir à deux communautés culturelles et linguistiques. La première langue est celle que l'enfant entend et apprend depuis sa naissance.
Les enfants peuvent tout à fait devenir trilingues, si, à part les parents, une nounou par exemple, parle une troisième langue avec l'enfant. Selon Claudio Nodari : « L'enfant multilingue a en principe plus d'une langue de socialisation, plus d'une langue relationnelle, plus d'une langue d'apprentissage. Cela demande à l'enfant une grande capacité d'apprentissage. Mais les humains sont tout à fait capables d'acquérir plusieurs langues dès la naissance ».
Plus le contact avec la deuxième langue se fait tôt, plus l'enfant l'apprendra facilement. À la crèche, dans les groupes de jeux ou au jardin d'enfants, l'enfant entre en contact avec des gens qui parlent une autre langue que la personne de référence dans sa famille. L'enfant apprend non seulement la nouvelle langue, mais également de nouveaux objets, de nouveaux environnements, de nouvelles actions, qu'il ne connaît peut-être pas chez lui. « La deuxième langue est donc également une langue d'apprentissage. Avec le temps, elle deviendra une langue relationnelle, car les relations avec la personne de référence de cet environnement seront ancrées en elle », explique Claudio Nodari.